février 2022, Comité Colbert

RA 2021 Le luxe au temps de la réinvention – Réinventer l’influence et le discours

Le Covid a donné l’opportunité de réévaluer le « contrat de confiance » qui lie le monde du luxe à la société, et de le renforcer. Le Trust Barometer 2021 de l’agence Edelman montre combien cette période a « mis à l’épreuve » l’image, la réputation et l’influence de l’ensemble des organisations. Mais de cette étude est ressortie « l’émergence du concept de marques soignantes, capables de se mobiliser pour apporter des réponses concrètes et techniques à la résolution de la crise au quotidien », pointe l’expert en communication Géraud de Vaublanc. Grâce à leurs actions, les entreprises ont réussi à marquer des points auprès des populations des 28 pays sondés. Passé la sidération des premières semaines, le rôle citoyen du luxe s’est affirmé comme jamais auparavant. En avril 2020, Balenciaga, Yves Saint Laurent, Baby Dior ou Louis Vuitton rouvraient leurs usines pour fabriquer des masques, tandis que les sites de production de parfums Lancôme, Dior ou Guerlain se convertissaient à la production de gel hydroalcoolique, livré gracieusement aux autorités sanitaires françaises. « Quand on incarne le rêve, la création d’emploi et de richesse lorsque tout va bien, la question de votre légitimité se pose dans une société où tout va mal, analyse Géraud de Vaublanc. En mettant à disposition ses compétences pour aider, le luxe a compris qu’il est important de montrer l’effort fourni pour agir, il faut aller au delà du don financier. » Corollaire de cette volonté d’être au coeur des sujets essentiels, de communiquer sur ses valeurs et ses actions pendant la pandémie, « il y a eu moins de campagnes d’influence payantes et moins d’intérêt des audiences pour les produits des marques, éclipsés par les problématiques sociétales et éthiques », relève Michael Jais, le fondateur de Launchmetrics, une société spécialisée dans la mesure et la valorisation des campagnes d’influence dans la beauté, la mode et le luxe. Les influenceurs sortent pourtant eux aussi renforcés de l’épreuve : « Ils ont élargi leur périmètre en se montrant aptes à faire évoluer leur discours dans le sens de plus d’engagement citoyen, et ils ont rendu la vie de leurs communautés plus agréable lors du confinement. » Dans ce contexte est apparue « une forte connexion artistique entre les marques et les influenceurs qui sont de vrais talents ». En témoigne le succès du concert d’Adèle offert par Chanel sur son compte Instagram, afin de mettre du baume au coeur des internautes. Le son, vecteur d’émotion à travers les écrans, s’annonce d’ailleurs comme un terrain d’expression de plus en plus puissant pour les marques. L’écoute des podcasts a explosé. « Le son est pour l’instant travaillé au projet, mais il fera de plus en plus partie de l’identité des Maisons et débouchera demain sur la création de véritables identités sonores », décrypte Mathieu Rossier, fondateur de l’agence Des Sons Animés. Cartier a confié à cette société la réalisation de plusieurs expériences sonores immersives, notamment pour son exposition itinérante « Into the Wild », inaugurée fin octobre à Hong Kong. Fin 2019, la Maison de champagne Krug avait créé avec l’Ircam un espace de dégustation sonore immersif. Les technologies sont là, et l’exploration d’une communication multi-sensorielle est lancée. « Quand tout ce qu’on pensait être normal ne l’est plus, alors qu’est-ce qu’on fait ? », interroge la philosophe Flora Bernard. C’est exactement la question qui s’est imposée aux acteurs du luxe comme à tout un chacun ces derniers mois. La créativité, l’agilité, la réactivité ont été au rendez-vous, si bien que l’attrait des savoir-faire made in France s’est renforcé à l’international. Le rebond spectaculaire des marques hexagonales en 2021 en atteste. Face à l’ampleur et à la complexité des défis à venir, faire le pari de la collaboration entre disciplines ou métiers – et peut-être entre concurrents – s’imposera de plus en plus. D’où la récente floraison des chaires de recherche. Hermès s’est rapproché de la Paris School of Economics pour accroître le dialogue entre l’économie et les sciences. Chanel s’est associé à l’Institut Français de la Mode autour de la transmission des savoir-faire des métiers d’art et de la mode. Kering a fait de même sur la sustainability. Et LVMH participe au Lab Capital Nature, porté par la Chaire de Comptabilité écologique lancée par WWF France et AgroParisTech. Des initiatives qui confirment cette grande leçon apprise lors des deux dernières années : aiguillonnée par la crise, la réinvention du luxe ne sera pas anecdotique, mais bien systémique.

Photo : ©BOUCHERON