November 2025, Comité Colbert

Rendez-vous avec Marc Durie, Président de J.M. Weston

« Le secret de notre succès repose sur l’excellence et le Made in France ».

Pour le président de Weston, la croissance continue de l’entreprise tient à la qualité de ses savoir-faire mais aussi à une diversification et à un développement international aussi méthodique qu’ambitieux. Sur son agenda : les 135 ans de l’antreprise cette année et les 80 ans de du modèle iconique de la marque, le mocassin 180, imaginé en 1946.

J.M. Weston s’apprête à fêter ses 135 ans avec, toujours, la même recherche d’excellence. Quelle est la philosophie de la marque ?
L’esprit Weston se définit avant tout par l’art de la marche, et ceci depuis la naissance de la maison… L’idée d’une personne en mouvement, ce qui induit naturellement les notions de durabilité et de la réparabilité de nos chaussures. L’art de la marche entraîne aussi un lien particulier avec le sol, le territoire, qui s’illustre par notre implantation à Limoges depuis 135 ans, via la manufacture où nous employons désormais 140 artisans. Pour J.M. Weston, tout a commencé par l’univers masculin, avec une exigence de robustesse que le fils du fondateur, Eugène Blanchard, a développé en partant aux Etats-Unis en 1904 pour s’initier à la technique du cousu Goodyear, qui permet de monter et de ressemeler les chaussures.  Dès cette date, les fondamentaux de la marque étaient réunis – l’excellence et l’innovation. Ils seront déclinés dans les années qui suivront, via des modèles iconiques liés au sport (derby golf, derby chasse…) et ensuite dédiés à l’univers professionnel avec la création, en 1946, du mocassin « 180 » qui deviendra le grand symbole de la marque.

Vous avez entamé, dans les années 90, une politique de diversification avec la création de modèles pour femme et d’une ligne de maroquinerie. Quelle part prennent ces univers dans la stratégie de croissance de la maison ?
D’un point de vue produit, cette stratégie repose sur trois axes. Le premier reste l’homme, avec cette idée de l’accompagner dans tous les moments de la vie – au travail, en week-end ou en vacances avec des modèles de baskets et de sandales développés dans les années 1990. L’univers de la femme s’est également imposé avec des modèles masculin-féminin comme le mocassin 180, mais nous l’avons ensuite décliné avec des chaussures à talons, tout en respectant cette exigence de confort ancrée dans notre ADN. La maroquinerie s’est développée à la même période avec des lignes de ceintures, de portefeuilles et de sacs. Aujourd’hui, l’univers de la femme représente 12 % de notre activité et la maroquinerie 15 %, les deux secteurs connaissant une croissance à deux chiffres. Dans un contexte difficile, notre croissance globale atteindra environ 4 % en 2025, ce qui constitue une vraie performance.

Vous avez également lancé la collection Weston vintage. Avec quelques objectifs et quels résultats ?
Nous développons ce secteur depuis 2019. Concrètement, nous rachetons les chaussures de nos clients pour les rénover à la manufacture et les revendre ensuite. Nous récupérons 3 000 paires de chaussures par an et nous en vendons environ 2 200, ce qui témoigne du réel intérêt de nos clients. Cet univers est très important pour nous. Il permet de montrer à nos fidèles que leurs chaussures vont bien vieillir – alors qu’on ne découvre, en règle générale, que des produits neufs lorsqu’on entre dans une boutique.  Par ailleurs, cette offre vintage est l’opportunité de recruter de nouveaux acheteurs, plus jeunes, qui n’ont pas forcément les moyens d’acquérir une paire de chaussures neuves et vont se tourner vers ces modèles vendus 50 % moins cher environ que le prix d’origine. Enfin, nous développons aussi une nouvelle communauté, des collectionneurs à la recherche de modèles rares ou de chaussures d’exception dotées de peausseries exceptionnelles.

Quels sont aujourd’hui vos best-sellers ?
Le premier reste le mocassin 180, créé en 1946, et depuis lors numéro un des ventes. Le second est notre chaussure golf, imaginée dans les années 20 et la troisième place revient à notre basket iconique, lancée en 2022. Ces trois modèles sont mixtes, ce qui nous permet de satisfaire l’ensemble de nos clients.

L’une des marques d’excellence de Weston est le Made in France. Votre production est-elle entièrement réalisée au sein de votre manufacture de Limoges ? Quels sont vos besoins en termes de recrutement au sein de cette manufacture et comment y répondez-vous ?
Notre manufacture réalise 85 % de nos produits. Les 15 % restants sont produits à l’extérieur avec des savoir-faire que nous ne possédons pas encore, comme certaines baskets fabriquées au Portugal et nos sandales en Italie. Nous avons entamé, en 2022, une stratégie de rapatriement de nos savoir-faire et nous avons lancé une première basket entièrement faite à Limoges, réédition d’une chaussure de tennis créée en 1938. Désormais, nous produisons 20% de nos baskets dans notre manufacture. L’objectif est de fabriquer le plus possible sur place, ce qui nous permet aussi de réparer nos produits. Une question très importante puisque nous avons l’ambition, d’ici trois ans, d’aboutir à une réparabilité de 100 % de nos collections.

Par ailleurs et comme bon nombre de maisons françaises, nous connaissons des difficultés de recrutement avec un bassin d’emplois en tension, des jeunes générations plus mobiles et plus exigeantes en termes d’évolution de carrière. Pour répondre à nos besoins, nous avons créé l’Ecole des Ateliers Weston avec des formations en un an, dispensées à la manufacture et permettant de décrocher un CAP de cordonnier-bottier. Nous proposons également de nombreuses formations en interne, notamment pour des professionnels en reconversion.

Vous avez été présents aux dernières éditions des Deux mains du luxe organisées par le Comité Colbert. Est-ce important de montrer vos savoir-faire à la nouvelle génération ?Ce type d’opérations est essentiel car il rend visible notre univers, historiquement peu connu. Les Deux mains du luxe permettent de rendre très concrète la diversité de nos métiers et de montrer le dynamisme de toute une industrie, le tout dans un secteur très pourvoyeur d’emplois.

Vous avez rejoint le Comité Colbert en 2023. Quel est votre retour d’expérience ?
Le Comité est une institution très précieuse ! Il nous apporte un soutien essentiel en termes de prospective, avec une réflexion en profondeur sur le futur de nos industries. Je pense notamment au travail réalisé récemment autour de l’intelligence artificielle et l’emploi des nouvelles technologies au sein des maisons de luxe. Le Comité nous apporte également un accompagnement opérationnel autour de problématiques communes à notre univers, par exemple des actions de lobbying auprès des autorités françaises et européennes sur des aspects réglementaires.

Vous êtes très présent à l’international, et notamment au Japon. Est-ce votre premier marché ?
Notre premier marché – et nous sommes en cela assez atypique – reste la France avec 50 % de clients français. Le second est, effectivement, le Japon avec 18 % de notre activité. Notre troisième marché, historique pour Weston puisqu’il a démarré avec le discours du Général de Gaulle à Brazzaville, est celui de l’Afrique de l’Ouest. C’est dans les années 50 que la maison a commencé à séduire les élites économiques et politiques africaines, poursuivant son développement avec le phénomène culturel des sapeurs qui réunissait alors « la société des ambianceurs et des personnes élégantes ». Ce marché représente aujourd’hui 16 % de notre activité avec des achats réalisés en Europe car nous n’avons pas de représentation en Afrique. Par ailleurs, nous commençons à nous redéployer aux États-Unis et nous regardons à nouveau la Chine.

Vous avez récemment remporté une victoire contre des contrefacteurs chinois. Le phénomène a-t-il disparu ou la vigilance est-elle toujours de mise ?
Nous avons découvert qu’un contrefacteur disposait d’une usine où il produisait des copies de nos produits mais également d’un site calqué sur notre propre site internet qui vendait ses produits en ligne dans le monde entier. Face à cela, nous avons demandé aux plateformes la clôture du site en question, ainsi que de sa page Facebook. Nous sommes passés par un tribunal chinois pour obtenir un jugement. Celui-ci nous a donné gain de cause et nous avons trouvé les autorités locales plutôt réceptives sur le sujet. Néanmoins, nous sommes toujours vigilants, notamment dans ce pays où, comme je le mentionnais, nous comptons par ailleurs nous développer.

Quels sont vos projets pour 2026 ?
Nous fêterons l’anniversaire du mocassin 180 avec la volonté de rappeler la richesse historique de ce modèle, via des collaborations au fil de l’année. Nous commencerons par une opération avec la Garde républicaine, le plus ancien partenaire de Weston puisque nous avons commencé à fournir les régiments de cavalerie en 1975. Nous poursuivrons l’année autour de Weston Vintage en rachetant des stocks de cravates en cuir que nous utiliserons pour présenter, en édition limitée, une réinterprétation de notre mocassin. Olivier Saillard, notre directeur artistique image et culture, est à la manœuvre pour l’ensemble de ces projets.

Par ailleurs, nous proposerons, dans notre nouvelle boutique-atelier de Tokyo, un espace où Olivier organisera à intervalle régulier des expositions. Enfin, nous poursuivrons nos collaborations qui nous permettent d’explorer de nouveaux territoires. Notre partenariat lancé cette année avec la maison Bonpoint pour l’univers de l’enfant et avec Sacaï, marque japonaise avec laquelle nous travaillons à revisiter nos modèles à l’occasion de leurs défilés homme. Là encore, le mocassin 180 sera au centre de l’événement, et plus globalement la star de l’année 2026.