June 2025, Comité Colbert

Rendez-vous avec Pierre Frey, Directeur de la Communication de la maison Pierre Frey

« L’acquisition de manufactures d’excellence a été clé pour diversifier nos collections et nos savoir-faire » 

À l’heure où la maison fête ses 90 ans, Pierre Frey nous dévoile la saga de cette entreprise 100 % familiale, devenue l’une des références de la création française en termes de tissus d’ameublement, de papiers peints, de mobilier… Le tout avec un puissant goût pour l’éclectisme, et un engagement fort autour de la préservation des savoir-faire.

Vous revenez tout juste du Salone del Mobile de Milan, le grand rendez-vous de l’univers du design et du mobilier. Qu’y avez-vous exposé ?
Nous avons présenté plusieurs pièces importantes en termes de mobilier. Betty, notre première chaise en métal indoor de l’architecte italienne Elisabetta Freda ; le majestueux canapé Boudoir conçu par l’architecte naval, Axel de Beaufort ou encore Alto, fauteuil signé du designer allemand Oleg Pugachev. Nous avons aussi dévoilé Marta, notre collection phare dessinée par le designer new yorkais Gregory Beson, qui réunit chauffeuses, bancs et tabourets. L’ensemble a été scénographié par Jean-Charles de Castelbajac avec lequel nous avons également imaginé une collection de tapis, papiers peints et tissus qui sera dévoilée en septembre prochain. Il s’agissait de notre cinquième participation à ce salon, qui signe la volonté de conforter notre place dans l’univers du mobilier après le rachat de la maison Rosello en 2018, l’un des grands ateliers français. Par ailleurs, cette présence régulière à Milan nous a incité à y transférer notre showroom, jadis situé à Turin.

La diversité de ces collections est l’une des signatures de Pierre Frey. Quel esprit préside à la maison ?
Cet esprit a été entièrement pensé par mon grand-père, Pierre Frey, qui avait le goût du beau, de l’éclectisme et de l’inattendu ; ce qui était assez inédit dans une époque où la plupart des intérieurs étaient très traditionnels. Il a fondé cette maison en 1935 et a choisi de sortir des sentiers battus en faisant appel à des artistes et des designers pour créer des tissus qui habillaient de façon différente murs et rideaux. Nous avons conservé ces valeurs même si, aujourd’hui, nos piliers sont davantage le patrimoine, l’artisanat et la créativité.

Depuis 1935, vous avez largement œuvré à diversifier vos collections, et vos univers de création. Quelles ont été les grandes étapes ?
Elles sont liées au rachat de manufactures qui pratiquaient un artisanat d’excellence, désormais au cœur de notre maison.  L’un des plus importants a été, en 1991, celui de Braquenié – une maison historique née en 1824, référence du beau à la française en matière de tissus d’ameublement et de tapis. Dans les années 90, nous avons acquis Margueroy, un atelier de tissage devenu notre fournisseur principal et désormais labellisé Entreprise du patrimoine vivant.

Nous avons également repris Le Manach en 2014, prestigieuse maison française d’éditions de tissus de d’ameublement née en 1829. Après le rachat de Rosello qui nous a ouvert à l’univers du mobilier, nous avons racheté en 2023 Zuber, célèbre maison alsacienne de papier peint panoramique alsacien. Un véritable joyau, symbole des arts décoratifs français du XVIIIème. Tout cela nous a permis de structurer la maison autour de quatre pôles : tissus, tapis, mobilier et papiers peints.

Comment avez-vous mis en place cette politique de rachats ? Et quelle cohérence établissez-vous entre ces différentes maisons ?
Elle correspond à une double volonté – proposer un univers riche et diversifié en termes d’aménagement intérieur et sauver des savoir-faire voués à disparaître. Ces entreprises fonctionnent comme des entités à part entière sous la houlette de mon père, Patrick Frey. Directeur artistique de la maison, il valorise l’identité de chaque atelier tout en insufflant un esprit commun à nos créations, notamment en termes d’inspiration. Nos collections sont historiquement liées à la nature et aux fleurs auxquelles mon père donne un esprit plus contemporain tout en travaillant également les thèmes du voyage. Nos créations de janvier dernier s’inspirent des déserts, celles de septembre seront dédiées à la Scandinavie. Grâce à ces entreprises, notre capacité de production permet de réunir plus de 10 000 références avec, chaque année, le lancement de 60 et 80 tissus, 40 à 50 papiers peints et 30 pièces de mobilier.

L’une des signatures de la maison est de produire en France. Où sont vos manufactures ?
Zuber est en Alsace, Rosello à Villers Cotterêts, la manufacture de tissage dans le nord de la France. Nous avons également acquis en 2022 la manufacture Thorp of London, à deux heures de Londres, qui produit des papiers peints et du tissu imprimé au cadre, un savoir-faire exceptionnel qui allait disparaître. Le tout réunit une quarantaine d’artisans.

Cette préservation des savoir-faire va de pair avec la bonne santé de votre maison, qui tient aussi à votre développement à l’international …
Pierre Frey réussit à sauver un patrimoine et à faire de la maison une entreprise florissante, avec un chiffre d’affaires en croissance depuis plusieurs années. Cela tient à notre image d’excellence et, en effet, à une dimension internationale déployée très tôt. Dès les années 50, mon grand-père a beaucoup voyagé – en Suède, en Angleterre, en Belgique, ce qui était c’était peu commun à l’époque. Mon père a pris la suite en développant le marché américain au début des années 90. Celui-ci est devenu numéro un pour Pierre Frey, suivi par l’Europe avec le trio France, Angleterre, ltalie. L’Asie et le Moyen-Orient sont moins importants mais se développent beaucoup.

Tout ceci constitue une communauté assez large. Qui sont vos clients ?
Mon père a toujours envie de s’essayer à de nouveaux projets, de nouvelles matières, tout en conservant une certaine intemporalité. Aujourd’hui, nous réunissons une communauté (notamment une jeune génération) séduite par ce goût de la nouveauté et qui attend avec impatience les créations dévoilées en janvier et septembre mais également des clients qui nous choisissent pour des collections plus intemporelles. Par ailleurs, nous proposons régulièrement des éditions issues de collaborations avec des designers ou des artistes. Dans tous les cas, nous travaillons à plusieurs mains et leur demandons de rester dans l’esprit Pierre Frey. La star c’est la Maison !

Et celle-ci s’apprête à fêter les 90 ans. Comment allez-vous fêter cet anniversaire, et perpétuer cet esprit de transmission ?
Nous faisons chaque année l’événement avec nos collections. L’an dernier, nous avons célébré les 200 ans de la Maison Braquenié. En 2023, nous avons publié un beau-livre pour célébrer la créativité de mon père au sein du studio. Nous n’avons pas l’intention de fêter particulièrement nos 90 ans, mais cet anniversaire nous donne l’occasion de réaffirmer le caractère familial de la maison. Celle-ci réunit mon père, mes deux frères et moi-même et nous espérons que nos enfants, pour l’instant très jeunes, auront à cœur de poursuivre l’aventure. Grâce à cette dimension familiale, nous avons une vision à long terme. Nous travaillons selon nos envies avec un circuit de décision très rapide, ce qui nous rend plus efficaces. Notre objectif est de bâtir quelque chose qui dure et porte nos valeurs, partagées avec nos collaborateurs et nos clients. Notre culture d’entreprise est fondée sur la confiance, la passion, la fidélité mais aussi l’audace, et l’indépendance qui va avec.