août 2025, Comité Colbert

Rendez-vous avec Vincent Thilloy, Président de Jean Paul Gaultier

« Avec la nomination de Duran Lantink, la mode redevient un axe stratégique pour la Maison » 

Cinq ans après le départ officiel de Jean-Paul Gaultier à la tête de la création de la Maison, le groupe Puig décide de nommer un directeur artistique permanent, mettant fin au modèle de créateurs invités. Vincent Thilloy fait le point sur cette décision qui permet de repenser le rôle clé de la mode dans le développement de la marque.  

Vous avez nommé en avril dernier Duran Lantink comme directeur créatif permanent, délaissant ainsi le système des créateurs invités. Pourquoi cette décision ?
Monsieur Gaultier a officiellement arrêté son activité au sein de la Maison en 2020 et il était très difficile de penser son remplacement. Nous avons alors choisi de créer une rupture, de continuer sous un format innovant, plus expérimental. Celui-ci consistait à inviter un designer chaque saison, pour la Haute Couture comme pour le prêt à porter, en mettant en place pour ce dernier un système de drop – le lancement régulier de mini-collections avec un nombre de pièces limitées. Cette formule a parfaitement fonctionné, notamment par l’effet démultiplicateur des réseaux sociaux, et la plupart de nos collections étaient rapidement sold out. Mais après cinq ans, nous avons eu envie de nous réinscrire dans le temps long. Le principe des collaborations est très efficace mais il comporte le risque de perdre en cohérence au fil des années. La nomination de Duran Lantink permet de penser la construction de la marque, notamment en termes de prêt à porter pour lequel l’attente est très forte. Nous repartons donc dans un format plus classique avec, à la fois, la Haute Couture et le prêt à porter, le tout créé par Duran.

A-t-il vocation à perpétuer ou à réinventer l’ADN de Jean-Paul Gaultier ? Et quand le grand public découvrira-t-il son travail ?
Lorsqu’on travaille pour une marque aussi forte, on ne peut qu’être dans le pur respect de son ADN. Les codes de la marque resteront mais avec la vision et l’interprétation de Duran Lantink. Et le suspense ne devrait pas durer très longtemps puisque nous présenterons la première collection signée Duran durant la fashion-week parisienne d’octobre.

Vous avez choisi une muse coréenne, la chanteuse du groupe de K pop Blackpink, Kim Jennie pour présenter vos dernières collections. Est-ce une collaboration pérenne ?
La maison est ce que l’on appelle une « love brand » qui attire un grand nombre de célébrités. Les gens adorent la Maison Jean Paul Gaultier et Monsieur Gaultier, qui reste aujourd’hui encore l’une des personnalités les plus spontanément citées lorsqu’on demande qui représente le mieux la France. C’est dans ce contexte que Kim Jennie nous avait contacté en 2024 et avait défilé pour nous. Seul l’avenir dira si elle poursuit l’aventure et, par ailleurs, Duran est également entouré de nombreuses célébrités, que nous devrions découvrir lors de ses prochains défilés.

Quelle place occupe aujourd’hui la mode Jean-Paul Gaultier versus le parfum ?
Aujourd’hui, les parfums représentent un poids important dans l’activité de la Maison, et la mode est un axe stratégique comme en témoigne la nomination d’un nouveau designer. Tout ceci a du sens car Jean Paul Gaultier est une Maison de mode, avant d’être une marque de parfums. Il s’avère que cette dernière est aujourd’hui extrêmement puissante mais la spécificité du groupe Puig n’est pas de « faire » de la mode ou du parfum, c’est de créer des Maisons. Nos parfums ne sont pas des licences, ils sont créés au sein même de nos Maisons, dans une vraie synergie de marque.

Le Mâle est l’un des parfums masculins les plus vendus au monde depuis son lancement en 1995…  Comment expliquez-vous une telle longévité pour Le Male, et un tel succès pour vos autres créations ? Les résultats sont en effet excellents et je pense que cette réussite tient beaucoup au travail mené par Puig pour conforter la marque, en faire une entité forte et cohérente. Pour le groupe, une marque est une affaire de sens, de raison d’être qui va bien au-delà des produits. Jean Paul Gautier, c’est d’abord et avant tout une célébration des différences et de l’inclusion. Depuis sept ans, nous réaffirmons ces valeurs à travers de multiples projets. En juin dernier, nous avons organisé, dans notre siège historique, la grande exposition « Et Gaultier créa l’homme » pour célébrer les 30 ans du parfum Le Mâle et évoquer plus largement l’idée de la masculinité déclinée par Jean Paul Gaultier. Nous sommes impliqués dans une douzaine d’associations et ONG LGBT dans le monde pour porter ces valeurs dans lesquelles nous sommes investis depuis la création de la Maison.

Votre maison vient de se singulariser avec une collaboration sur Snapchat qui utilise l’IA. Les utilisateurs ont découvert les peintures de la Renaissance sous les traits des parfums Jean-Paul Gaultier. Quelle place vous donnez à la technologie dans une Maison comme la vôtre ?
Il est essentiel d’utiliser tous les moyens qui sont à notre disposition, qu’il s’agisse des réseaux sociaux, TikTok par exemple. L’IA offre un champ de possibilités extraordinaires et inscrit pleinement la marque dans la réalité technologique d’aujourd’hui, en phase avec une jeune génération à laquelle nous nous adressons tout particulièrement.

La maison Jean Paul Gaultier a rejoint le Comité Colbert en janvier 2023 et vous participez cette année à la 5ème édition des Deux Mains du luxe au Grand Palais organisé par le Comité. La préservation des savoir-faire est-elle un objectif partagé ?
Je viens de parler de l’IA mais parallèlement à cela, il y a aussi et avant tout l’artisanat, notamment dans l’univers de la couture, qu’il faut impérativement préserver et inscrire dans le futur. À mes yeux, l’IA est parfaitement compatible avec l’artisanat. Elle en est complémentaire et ces liens sont une façon de vivre avec son siècle. C’est dans cet esprit que nous avons rejoint le Comité Colbert, avec la volonté de préserver les savoir-faire d’exception qui font les métiers d’art français. Par ailleurs, le Comité est une institution très dynamique. Nous tirons parti de son expertise et des multiples informations données sur la santé du secteur, les évolutions des marchés. Nous participons aussi à des événements, et notamment les Deux Mains du luxe. Cette initiative constitue une parfaite opportunité de sensibiliser les jeunes générations à nos métiers mais aussi de mobiliser nos équipes autour d’un projet porteur de sens. Antoine Gagey -directeur général de la mode- animera une conférence et les artisans de nos ateliers présenteront leur savoir-faire à une jeune génération. Ils ont beaucoup à transmettre et vivent cette mission avec une grande fierté.