Rendez-vous avec Philippe Bénacin, Président d’Interparfums

« Interparfums est toujours en quête de nouveaux territoires, et de nouvelles marques ».
Acteur majeur dans l’univers de la parfumerie, l’entreprise multiplie les succès -notamment avec les fragrances Lacoste portées par Pierre Niney- mais elle s’apprête également à lancer ses propres créations avec la collection Solférino. Le point avec Philippe Benacin, cofondateur et président d’Interparfums.
Interparfums est connu pour la conception de parfums sous licence et pourtant, vous lancez ce mois-ci votre propre marque….
Nous possédons déjà quatre parfums hors licence -Rochas, Annick Goutal, Lanvin et Off-White. Nous les avons acquises lorsque l’occasion s’est présentée, il s’agissait davantage d’opportunités que de réelle stratégie. Pour Solférino, les choses sont différentes. Nous avons pris la décision et nous lançons cette collection sans nous adosser à une marque existante. Nous avons choisi de nous inspirer du bâtiment XVIIIème dans lequel nous avons emménagé en 2021. C’est une page de l’histoire de Paris et nous avons eu envie de lui rendre hommage en imaginant dix fragrances qui célèbrent l’architecture, plus largement les lieux et l’esprit parisien. Après deux années de recherche consacrées au développement de la collection, nous allons disposer d’un univers riche et unique, pleinement adapté au marché de la Haute parfumerie.
S’agit-il d’une nouvelle stratégie pour Interparfums ?
Il s’agit d’une étape, d’un nouvel axe de développement sur un marché qui affiche de fortes croissances depuis plusieurs années. Par ailleurs, les licences peuvent avoir des durées de vie programmées. Avec ces parfums en propre, nous donnons une pérennité supérieure à une partie de notre activité. Mais la Collection Solférino est plus importante en termes d’image que de chiffre d’affaires. Elle sera lancée en septembre avec une distribution très sélective d’une centaine de portes, dans 30 pays. Une première boutique entièrement dédiée à la marque ainsi qu’un site d’e-commerce devraient voir le jour d’ici la fin de l’année.
Votre entreprise repose essentiellement sur la base de contrats de licence mondiaux et exclusifs sous des marques prestigieuses. Combien en comptez-vous aujourd’hui et quelles sont les plus importantes ?
Interparfums réunit sept licences avec quatre leaders – Montblanc, Lacoste, Jimmy Choo et Coach, qui produisent chacun entre 100 et 200 millions d’euros de chiffre d’affaires par an et concentrent environ 80% de l’activité, grâce à des lignes emblématiques et de nouveaux lancements. Notre top 3 ? I Want Choo pour la femme, Explorer de Mont-Blanc et Coach Women. Portée par Pierre Niney, la ligne Lacoste Original lancée en 2024 connait aussi un grand succès. Par ailleurs, nous concevons les parfums de la maison Boucheron, ST Dupont ou encore Van Cleef & Arpels avec la ligne « Collection extraordinaire », plus prestigieuse, et dans un cadre plus limité en termes de distribution. La licence vient d’être renouvelée pour neuf ans, et nous préparons à la fois de nouveaux jus et une nouvelle collection.
Comment créer des parfums chaque fois singuliers pour des maisons aussi différentes ?
Il n’y a pas de secret mais une recette, même si je n’aime pas le mot. Il faut s’intéresser à la marque, à son territoire, à son message. Nous partons toujours de là, sinon ça ne marche pas. Je suis passionné par l’histoire des marques et cet intérêt est devenu professionnel dans les années 90, lorsque nous avons intégré Burberry. La maison possède un très riche patrimoine mais elle est aussi dans son temps, témoignant alors de la passion pour l’outdoor. Restituer ce mix entre la singularité de la marque et le reflet d’une époque a été une expérience passionnante.
Il y a eu ensuite Paul Smith, ST Dupont… Collaborer avec des maisons différentes crée une agilité qui permet d’aller au plus près de chacune. L’exercice impose de plonger dans la marque et transposer en parfum son esprit. Nous travaillons à l’élaboration des jus avec nos maisons partenaires (essentiellement IFF, Symrise, Firmenich, Givaudan…) en multipliant les aller-retours avec les marques, pour qu’elles soient totalement parties prenantes des créations.
Votre industrie se distingue en termes de développement durable par la création de flacons à remplir en magasin. Avez-vous une stratégie propre à Interparfums ou vous adaptez-vous à la philosophie des marques avec lesquelles vous travaillez ?
En réalité, peu de maisons proposent cela. Elles préfèrent utiliser la formule de recharge qui limite la consommation de verre, même si le flacon de la recharge est jeté. Notre politique de développement durable s’articule autour du flaconnage avec le choix de verre PCR et des packagings avec une réduction de la taille des étuis. Par ailleurs, nous devons, comme tous les fabricants de parfums, produire un certificat CMR attestant de la présence ou de l’absence de substances classées (Cancérigène, Mutagène, Reprotoxique), ce qui nous inscrit de fait dans une politique RSE. Enfin, nous travaillons avec tous nos fournisseurs pour réduire le bilan carbone, et celui de notre bâtiment est exemplaire.
Votre maison a enregistré une hausse de 10 % de son bénéfice en 2024. Vous avez réalisé 10,7 % de croissance au premier trimestre 2025. Pourquoi un tel succès alors que l’univers du luxe était à la peine ?
Il me semble important de relativiser ce point. Nous avons connu, post Covid, des croissances hors normes, au-delà de 10 %. Le marché revient à des niveaux habituels, et c’est aussi notre cas mais je ne suis pas inquiet. Selon moi, la raison n’est pas structurelle. Elle tient à la géopolitique du moment – les atermoiements de Donald Trump autour des tarifs douaniers et, surtout, l’émergence de conflits majeurs. Dans ce contexte, les gens ont moins envie de consommer, c’est assez normal.
On a tout de même l’impression que votre entreprise résiste très bien…
Cela tient d’abord au fait que nous sommes une petite équipe (350 collaborateurs), très proche de nos partenaires, dans un vrai lien avec eux. Après, il y a aussi une affaire de qualité. En fait, c’est un mélange de tout : l’excellence des marques et des produits, une bonne visibilité et une bonne compréhension. Une acheteuse d’un parfum Jimmy Choo retrouve pleinement l’esprit de la marque qu’elle aime, même chose pour un fidèle de Montblanc qui y retrouve son côté statutaire.
Une grande part de votre chiffre d’affaires est réalisé aux USA. Comment vivez-vous l’évolution géo-politique du moment ?
Ce marché correspond à 35 % de notre chiffre d’affaires. C’est le premier, suivi par l’Europe pour un tiers, le reste se répartissant entre l’Asie et le Moyen-Orient. Le marché américain est très concurrentiel, très difficile, et cela ne date pas de l’ère Trump. Il est concentré sur quatre ou cinq retailers qui font 90 % des ventes, Macy’s à lui seul fait 50 %. Cela donne beaucoup de pouvoir au retailers qui sont très demandeurs d’initiatives, de nouveautés…Par ailleurs, l’inquiétude autour des tarifs douaniers est réelle. Quelles que soient les décisions prises, nous nous adapterons. Et dans tous les cas, nous ne changerons rien aux projets que nous avons lancés. Ceux de 2026 sont quasiment aboutis et nous pensons l’année 2027, avec la ferme intention de mettre en œuvre ce que nous avons imaginé.
Dans ce contexte, comment voyez-vous le développement d’Interparfums dans les prochaines années ?
De nombreux marchés sont arrivés à une certaine maturité – aux Etats-Unis, en France et dans toute l’Europe de l’Ouest. Selon moi, il y a en revanche un potentiel en Amérique du Sud, dans certains pays d’Asie et en Russie, lorsque le conflit sera terminé. Par ailleurs, nous disposons aussi de leviers de croissance évidents en termes de marques. Peu d’entreprises proposent aujourd’hui des parfums sous licence, à part L’Oréal et Estée Lauder, Puig ne souhaite plus s’investir dans l’univers des licences… Interparfums est toujours en quête de nouveaux territoires, et de nouvelles marques.