Rendez-vous avec Michel Bernardaud, Président de Bernardaud

« L’acquisition d’Haviland nous permet d’accroître notre outil industriel et de compléter notre offre de porcelaine »
Représentant de la cinquième génération de cette famille de porcelainiers, Michel Bernardaud préside aux destinées de l’entreprise depuis 1994. À l’occasion du rachat par la maison de la société Haviland, il nous dévoile les secrets d’un prestige international, et d’une dynamique de croissance à deux chiffres.
Vous venez de racheter la maison Haviland. Quelles sont les raisons de cette acquisition ?
L’opportunité s’est présentée, elle nous permettait à la fois d’accroître notre outil industriel et de compléter notre offre avec les collections de cette maison fondée en 1842. Grâce à cette acquisition, nous réunissons aujourd’hui plusieurs univers de création. Les rééditions à l’identique des modèles historiques de l’ancienne Manufacture Royale, la première fabrique de porcelaine à voir le jour à Limoges en 1771, illustrent l’art de vivre à la française dans un style XVIIIe. Désormais, les collections d’Haviland revisitent les archives de cette maison particulièrement riches au XIXe et dans la première moitié du XXe siècle. Enfin, Bernardaud, tout en incarnant la versatilité des arts décoratifs à la française depuis sa création en 1863 continue à s’appuyer sur ses collections contemporaines et sa complicité de toujours avec le monde des artistes et des designers.
Ce rachat s’inscrit dans une dynamique de croissance à deux chiffres qui témoigne de la bonne santé de votre entreprise, après des années 2000 plus difficiles. Comment avez-vous œuvré pour renouer avec le succès ?
Notre maison, qui vient de fêter ses 162 ans, a fait face aux différents soubresauts de l’histoire. Dans la période récente, comme tous nos confrères européens, nous avons assisté à la quasi-disparition du réseau des boutiques multimarques dans le monde. Ce réseau n’a pas pu résister à la montée en puissance de la grande distribution, proposant une production à très bas prix, souvent inspirée ou copiée des modèles emblématiques des fabricants européens. Nous avons surmonté cette crise, comme les précédentes, car nous avons continué d’investir dans notre outil industriel sans jamais transiger sur la qualité, en maintenant notre production à Limoges et en développant de nouveaux marchés.
Cette croissance vous a permis d’embaucher près de 300 personnes dans votre manufacture depuis 2021. On parle beaucoup de la difficulté à recruter des artisans, comment avez-vous procédé ?
Nous profitons heureusement d’un bassin d’emploi important, et d’un intérêt particulier pour nos métiers. Limoges est la capitale de la porcelaine et on a coutume de dire que chaque limousin a un chromosome kaolin. Nous avons surtout recruté de jeunes salariés, qui nous ont rejoint avec enthousiasme et la volonté de s’accomplir à travers le geste, l’intelligence manuelle. Une fois dans l’entreprise, leur cursus a été complété par des formations « maison », dispensées par des salariés en fin de carrière, qui initient nos jeunes à nos savoirs faire, très spécifiques.
Créée en 1863, Bernardaud perpétue les arts de la table tout en s’inscrivant dans la modernité. Cet équilibre entre patrimoine et esprit contemporain est-il la clé de votre réussite ?
Il est la signature de la maison. Nous nous inscrivons dans la tradition française mais nous revisitons régulièrement nos collections historiques et nous les complétons par des créations contemporaines. C’est un subtil équilibre avec, parfois, une prise de risque que nous assumons car notre entreprise, familiale, ne dépend de personne pour faire ses choix, si ce n’est le désir des consommateurs. Notre politique est de lancer des produits dont nous sommes fiers, en souhaitant naturellement qu’ils aient le meilleur succès commercial.
Vous l’évoquiez tout à l’heure, l’une des caractéristiques de la maison est son lien historique avec l’art. Quelles sont les collaborations les plus emblématiques ?
Mes ancêtres ont travaillé avec de nombreux artistes et créateurs de talent. Pour m’en tenir à la période récente et sans être exhaustif, je citerai entre autres nos collaborations en cours avec Jeff Koons, JR et Prune Noury ou le designer Olivier Gagnère. Cette année, nous développons un très beau projet avec l’artiste africain Omar Victor Diop et nous dévoilerons à l’automne une création de la formidable plasticienne portugaise Joana Vasconcelos.
Quelles sont les collections les plus prisées, et qui sont vos clients ?
Difficile de citer certaines collections car nous les renouvelons en permanence pour qu’elles trouvent toutes leur marché et leur public. Nous comptons néanmoins quelques bestsellers, comme la ligne Ecume et son savant travail d’émaillage ou Albertine, inspirée des toiles de Jouy. Nous touchons aussi bien une clientèle de particuliers qui achète dans le réseau de détail que la clientèle professionnelle de l’hôtellerie et de la restauration. Nous travaillons également sur projet pour des luminaires, des contenants pour la cosmétique, la parfumerie, les alcools et toutes nos gammes de céramiques techniques.
La maison exporte aujourd’hui 75% de sa production. Quels sont vos marchés les plus importants ?
Les États-Unis sont notre marché le plus important. Pour le reste, notre distribution est assez équilibrée géographiquement sur la planète.
Malgré tout, les dangers de la flambée protectionniste sont bien réels et vont au-delà de la relation Europe-Etats-Unis. Une récession au Japon, en Chine ou en Amérique latine nous toucherait forcément, sans compter aux États-Unis où elle semble inéluctable. Le protectionnisme est malsain pour les affaires ; j’espère que le monde va revenir à la raison.
Vous êtes membre du Comité Colbert et avez participé à l’exposition « Jeux de Mains » organisé par le Comité à Shanghai en novembre dernier. Est-il important de promouvoir collectivement l’art de vivre français à l’international ?
C’est essentiel. Le Comité Colbert regroupe les talents d’entreprises qui partagent une même culture de l’excellence et souhaitent la valoriser. Notre association a notamment été créée pour promouvoir le luxe à la française et ce type d’événement remplit parfaitement cette mission statutaire. Rappelons qu’au XVIIIe siècle, la France n’exportait pas des Airbus mais des porcelaines, du cristal, des tapisseries, de l’orfèvrerie… Tout cela a fait connaitre nos savoir-faire et sans doute permis la diffusion d’autres secteurs car il y avait déjà, dans l’esprit du monde, cette excellence à la française.
Vous êtes le représentant de la cinquième génération de la famille. Comment vivez-vous cet héritage ?
J’ai hérité d’une entreprise en bonne santé et je suis fier d’avoir su la développer. Dans une maison familiale, il faut que chaque génération ajoute sa propre pierre et c’est ce que j’ai tenté de faire. Je suis heureux aussi d’avoir mis en place des processus de transmission. Mon fils Charles est directeur général de la maison et mon neveu Arthur dirige notre filiale au Japon, Tous les deux sont motivés, passionnés, et sauront à leur tour réinventer la tradition familiale.
CREDITS PHOTOS :
Portraits Michel Bernardaud, (c) Jean-Baptiste Millot