Luxe : les nouveaux paradigmes du désir
COMMENT ENTRETENIR LA FLAMME ? SI LA CRÉATIVITÉ A ÉTÉ DE TOUT TEMPS LE TERRAIN DE JEU DES ACTEURS DU LUXE, CULTIVER UNE DÉSIRABILITÉ QUI PERDURE AU-DELÀ DES MODES ET DES SAISONS EST DEVENU L’ENJEU NUMÉRO UN, DEVANT LES OBJECTIFS DE RÉSULTATS. PLONGÉE DANS LES RÉVOLUTIONS DU DÉSIR.
Il est puissant, insaisissable, multiple, paradoxal, énigmatique, infini. Le désir − car c’est de lui qu’il s’agit − est partout : incontournable dans nos vies d’êtres humains, il est omniprésent dans l’univers du luxe et occupe toutes les pensées de ses décideurs. Le PDG de LVMH, Bernard Arnault, le convoque à chaque prise de parole : « L’objectif principal donné aux collaborateurs du groupe n’est ni la croissance ni le profit mais le développement de la désirabilité de nos marques dans le monde », affirme-t-il dans Le Figaro Magazine (23 juin 2023). François-Henri Pinault, le patron de Kering, le rejoint dans cet éloge du désir. Le fait que ses Maisons, de Saint Laurent à Balenciaga ou Boucheron, « travaillent chaque saison l’exclusivité et la désirabilité » constitue, selon lui, un « avantage » sectoriel que bien d’autres activités rêveraient de pouvoir cultiver (Fashion Network, 18 février 2022).
Prompts à devancer nos envies si humaines, les acteurs du luxe ont surmonté bien des crises en se portant à l’avant-garde de la créativité et en se distinguant par la puissance de leurs imaginaires. Par conséquent, « mettre en avant l’idée d’un développement désirable est tout à fait logique dans un contexte de chocs et de menaces, où tout le monde a compris que c’est la fin de l’abondance et de l’accumulation », juge le directeur de la prospective de l’agence NellyRodi, Vincent Grégoire. Ce dernier observe d’ailleurs, depuis la pandémie, un basculement du « durable » vers le « désirable ». Alors que l’usage du premier est de plus en plus encadré du point de vue légal, le second porte une vision positive du changement. Il est associé à l’idée de récompense, de bénéfice et de « coolitude ». Pour Vincent Grégoire, « adopter des comportements responsables oui, mais pas grand monde souhaite se flageller : on veut aussi du festif, du joyeux, de la couleur, des choses qui font du bien… Et cela vaut pour les consommateurs comme pour les marques ». Avancer et désirer dans un même élan ? Belinda Cannone, dans L’Écriture du désir (1), veut voir, elle aussi, « force, énergie, promesse de plaisir » dans ce moteur de nos corps et de nos vies. Dans ce laboratoire d’innovation qu’est le luxe, place aux révolutions du désir.
©RACHEL LEVY
1.Prix de l’essai de l’Académie française en 2001 (Calmann-Lévy, 2000, réédition Gallimard, “Folio”, 2012).
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